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L'histoire est étrange

L'histoire est étrange et je sais qu'on me le reprochera. En fait je n'en suis pas responsable. Il est vrai que beaucoup de faits se sont accumulés et que mon cas semble s'alourdir à chaque fois que je m'y penche. Depuis plusieurs mois déjà je suis pestiféré. Non pas contagieux mais évité comme si les autres animaux me fuyaient de peur d'être vu en ma compagnie. Je crache du mazout quand on me demande de mes nouvelles, j'ai entendu dire qu'après m'avoir parlé il fallait se détacher et que ce n'était pas toujours aussi simple que dans une réclame.
Je suis habillé avec des vêtements passés de mode, mon entêtement à refuser la joie est résistant à toutes les drogues qu'ils nous font ingurgiter. Je n'aime pas me plaindre, mon père déjà ne se plaignait pas. Je maintiens mon intérieur propre mais l'extérieur est difficile à contrôler. Je crois qu'il y a des éléments de mon costume qui sont sciemment dégradés pendant que je suis absent ou peut être la nuit je ne sais pas.

Ma symphonie préférée est celle qui se termine brusquement, je suis le seul à l'aimer. La dernière fois qu'elle a été joué dans notre ville, c'était dans une salle très excentrée et nous étions très peu à l'écouter. Comme à chaque fois, la fin m'a surpris, j'ai ressentis un déchirement, physique, ça m'a fait mal. Il faut dire que je souffre souvent de maux de tête, je suis assez sensible à l'humidité et cette soirée, je m'en souviens, était pluvieuse.

C'est à cette représentation que j'ai rencontré Sylla. Elle était assise juste devant moi et quand je l'ai regardé, j'ai bien vu qu'elle n'avait pas au fond de l'oeil l'aversion ou la peur qu'il y a chez les autres. Je ne l'ai pas abordé et elle a pris un taxi. Toute la nuit je l'ai passée à rêver d'elle, une rêverie éveillée.

Mais je dois avancer dans le rapport avec eux. Ils sont partout sur mon chemin et je sais que je dois feindre de trouver ça normal. Je dois aussi ne pas voir leur regard qui s'attardent sur mon corps sous les habits.

Sous un groupe d'arbres où les oiseaux se rassemblent. Leur chants mêlés me dissimule. J'ai un avion à prendre mais j'ai décidé de ne pas y aller. Pourtant je hèle un taxi, lui demande de me conduire chez moi. 6, rue des cigognes. Je lui demande de m'attendre. A l'étage ma valise est prête, j'espérais qu'un détail technique me donnerait l'excuse ne ne pas intervenir dans ce colloque. Quand se rendront ils compte que je ne suis plus capable d'assumer mes fonctions.

J'ai eu peur quand le douanier à observé attentivement mon passeport, il m'a regardé attentivement plusieurs fois. J'ai eu froid dans le dos, mais je me souvenais de la cacophonie des oiseaux pour ne pas perdre contenance. Finalement je suis entré dans l'appareil, l'hôte de vol m'a accueilli comme un client de marque. La place que le concepteur a réservé pour mes jambes me rappelle que je suis en classe affaire. Je demande un somnifère et je m'endors.

Ma bouche fonctionne comme un organe indépendant quand je monte à la tribune. J'ai quelques absence que mes auditeurs prennent apparemment pour du métier, puisqu'on me serre la main quand je redescend les marches. Une dizaine de personnes m'attend pour me poser des questions. Je reste évasif. Je suis dans un pays où la langue est mélodieuse et la traduction donne un lustre à mes réponses. Je rentre à mon hôtel comme dans le recoin sûr d'une tranchée.

Demain je serai rentré.

J'apprends que Sylla à trouvé mon contact en trouvant une photo d'elle sur mon téléphone. Je ne réponds pas. Je sais qu'elle se retrouvera sur ma route. Peut-être d'ici là j'aurai retrouvé mon sang froid.  Je m'endors en frottant mes pieds l'un contre l'autre comme je faisais enfant quand je me réjouissais, jouissais, de la chaleur sous les couvertures.

La fumée stagne au dessus des toits. Le froid me tétanise alors que je suis au chaud. Je ne vois pas la rue en bas, il me semble que si je sautais, je serai accueillis par un matelas de coton.
Dans ma garde robe, les habits ont encore été changés. Je remarque un lambeau de tissu au sol. Je le ramasse, c'est le costume que je m'étais fait faire sur mesure à Kyoto. Ce tweed épais que j'avais longuement caressé a dû être difficile à lacérer. Je le glisse dans ma poche. Je regarde autour de moi, comment est-il possible qu'il n'en reste qu'un ruban ? Je l'enroule autour de mon doigt.