Artiste: Radiohead
Album : A Moon Shaped Pool
Sortie : 2016
Page :
Label : autoproduction
Page du label :
Mouton-note: [ :-| ]
Support : CD
Auteur : CHFAB
Lien pour la pochette :
Mots-clés pour catégorisation : Art rock, pop, crossover prog
Radiohead, malgré sa popularité planétaire, toujours pas démentie,
demeure encore un secret bien gardé. En cela, il reste un groupe au
parcour absolument unique, hors norme, et pour tout dire admirable.
Chaque sortie, toujours savemment orchestrée, est de par ce fait, et à
chaque fois, un évènement. Incroyable de susciter un tel engoument,
avec l'idée qu'à chaque publication tout peut arriver. Etre aussi
talentueux, aussi libre de ses choix artistiques, et avec une volonté
chevillée au corps de réapparaître là où personne parfois ne l'attend,
relève aujourd'hui de l'exploit. Si peu ont emprunté cette voix avec
une telle constance, et si peu ont tenu. On sitera Bowie bien
évidemment, qui pourtant en son temps a cédé aux sirènes du succès,
mais sa sortie restera gravée dans le marbre le plus pur. Un Bashung
peut être, a choisi une telle voie, pour n'évoquer que la France.. Mais
à l'échelle mondiale... Neal Young sans doute... Il n'y en a pas tant
que ça... En tous cas, pour un groupe récent Radiohead fait figure
d'exception, à tous les niveaux. Alors inutile de dire à quel point les
cinq années qui séparent <i>A Moon Shaped Pool</i>
de <i>The King Of Limbs</i> ont été longues, malgré
l'accueil controversé de leur album précédent, dont les arcanes du
temps lui ont finalement rendu justice.<br><br>
"Une Piscine En Forme De Lune", voilà un titre encore une fois riche de
sens, faussement énigmatique, double du moins, entre symbole
dérisoire et vulgaire du matérialisme ostentatoire actuel, et à la fois
sujet onirique (la lune) dans lequel on invite à plonger corps et âme.
Entre les deux, le coeur balance, comme le démontrent les pièces de ce
nouveau puzzle, qui aborderont tout autant gravité politique,
écologique (« Full Stop »), et pure évasion par le
rêve (« Daydreaming »).<br><br>
<i>A Moon Shaped Pool</i> est un album profondément
contemplatif, d'une apesanteur constante, renouant avec les
stratosphères d'« OK Computer » et « In
Rainbows », puisqu'il faut bien lui trouver des références.
Cette constance, linéarité diront certains, fait sa force, et
peut être aussi son défaut, en plus du fait de ne pas y découvrir un
matériel complètement inédit, puisque certains morceaux ont déjà trouvé
vie sur scène. De plus, la pulsation rock en est quasi absente, là où,
même si de moins en moins il est vrai, le quintette d'Oxford alternait
beauté planante pure et groove indé dévéstateur. Ici, luxe, faux calme
(car l'inquiétude n'est jamais loin avec eux), et volupté. "Volutes"
chantait Bashung, justement, même si le point commun s'arrête là
stylistiquement parlant. Quoique. Un disque un peu sage alors? D'une
certaine manière oui. Peu de contrastes donc. Seuls le morceau
d'ouverture (admirable « Burn The Witch »,
intelligemment mis en avant avant la sortie de l'album), et
« Full Stop » vous ferons taper du pied, ou le
chaloupé « Tniker Talylor Soldier... ». C'est un peu
court peut être, car nombreux sont ceux qui apprécient la folie
électrique du combo, jamais tant mise en valeur que lorsqu'elle est
alternée par émotion et mystère. De ce point de vue, cet album en
regorge, décuplés par les arrangements orchestraux sublimes de Johnny
Greenwood (ses expériences solo dans l'univers cinématographique y sont
pour beaucoup), et le piano magnifiquement velouté de Yorke, véritable
fil rouge du disque. Le chant n'a jamais été aussi dépouillé et feutré,
en d'infinies caresses, posées, mesurées, presque sans artifice. La
guitare folk apparaît, peut être pour la première fois, country blues,
magnifique, nue, étayant la palette sonore de ce
disque(« Desert Island Disk »), un rien monolithique.
La batterie de Selway fait montre d'une grande discrétion, avançant par
petites touches hyper nuancées, quasi jazz. La basse du frère Greenwood
et le travail multiinstrumental de Ed O'Brian sont littéralement fondus
dans ce maelstrom de miel, à l'image de la pochette. Les arrangements y
sont tout aussi subtils, parcimonieux, et ajoutent ce qu'il faut de
trouble, de tension soujacente, comme pour détériorer un minimum cette
tranquilité. Là aussi la pochette annonce la couleur, si l'on peut
dire, avec son noir et blanc, et ce trou terrible, évoquant autant une
possibilité de sortie que le vide et l'absence. C'est une des choses
merveilleuses, avec la musique de Radiohead, cette capacité à évoquer
l'indissible, l'invisible, la complexité, le refus du binaire. Comme si
tout échappait toujours à ce qu'on cherche à définir, à enfermer
(« Identikit ».<br><br>
La mise en son, le mixage et la production sont une fois de plus
extraordinaires, un élément si prégnant dans la discographie du groupe
qu'il agit en véritable sixième membre, avec le travail ô combien
splendide de Nigel Godritch aux manettes.<br><br>
Pour résumer, si une impression première de linéarité du propos
(musicalement s'entend) s'impose au départ, comme vous l'aurez compris,
une chose rassure cependant, c'est le plaisir renouvelé à la réécoute
de cet album, comme si sa maturité ne devait se révéler qu'avec le
temps, et les petits détails. Une sorte de calme sublimé, au milieu de
la tempête. Reste tout de même à espérer que la prochaine étape se fera
moins attendre, histoire d'éviter un certain systématisme, et qu'elle
ofrira cette fois des accents plus énergiques. Quoiqu'il en soit, on
aurait bien tort de ne pas se baigner dans cet océan de beauté, quelle
que soit sa forme, finalement.