09 01 10
INTERVIEW L'EFFET DEFEE
Suite au concert formidable de ce groupe rennais, en première partie de
Magma le 18 décembre de l'année passée (2009), Maude Trutet, chanteuse
et fondatrice du quatuor, nous a fait la gentillesse de nous accorder
une longue interview, dans un café-librairie, « La Cour Des
Miracles », autour d'un thé à la menthe...
Progressive Area:
Maude, avant de commencer, je voudrais te faire part de quelque chose
qui m'intrigue: à la vue de ton nom de famille, je n'ai pas pu
m'empêcher de penser à un certain chanteur français ainsi qu'à son
frère, ayant œuvré au milieu des années 80, dans deux groupes
importants pour le rock progressif hexagonal; ELOHIM et HECENIA. Il
s'agit de Jean-Paul et Daniel Trutet, dont j'ai encore les disques chez
moi, et dont la voix du premier reste l'une des plus belles de notre
patrimoine de prédilection...Ma question est certes un peu
« people »:
aurais-tu par hasard un lien de parenté avec ces deux personnes?
M:
...oui, effectivement, puisque Jean-Paul, c'est mon père, et Daniel
c'est mon oncle, avec qui je joue aussi d'ailleurs.
P A:
!!!!...! Alors ça c'est plutôt dingue, parce que les probabilités de
croiser nos chemins étaient franchement minces...
M:
le fait de rencontrer quelqu'un qui les connaisse me semble à moi
aussi amusant...
P A:
Je crois que ça fait partie des premiers groupes de ma jeunesse que
j'ai découverts sur la compilation de MUSEA:
« Enchantements », où l'on présentait la nouvelle scène
prog française de l'époque: Elohim, Minimum Vital, Edhels, Halloweeen,
Raison De Plus, Jean-Pascal Boffo, Ange (pour son retour)...
Tout au long du répertoire de ce soir, on a assisté à un
maelström étonnant (et formidable) fait de couleurs lyriques, rock,
grind, orientales et...progressives.
Quelle a été ta formation? Et donc ton parcourt?
M:
Comme tu l'as compris, j'ai grandi dans la musique, puisque mes parents
tenaient un studio d'enregistrement, le studio Osiris, dans la région
de Cholet.
J'ai ainsi vu arriver chez nous de nombreux musiciens, essentiellement
de la scène Jazz Nantaise et Parisienne (artistes du label Yolk), tel
que Geoffroy Tamisier, Alban Darche, François Ripoche, mais aussi Kenny
Weeler, Big Jo Turner (le bassiste de BB King), Mukta, Philippe
Catherine...
J'ai ainsi été imprégné par toutes sortes de musiques, étant
jeune: les groupes qui passaient au studio, ou sur les disques de mes
parents; Rock, classique, free jazz, progressif bien sûr, musique
ethnique, etc...
Très vite, j'ai commencé à travailler pour gagner un peu ma
vie, alors je me suis mise très tôt à chanter dans des groupes de
bals populaires, pendant des années. C'était très formateur, bien qu'un
peu limitant et sclérosant.
J'ai aussi bien sûr fait des rencontres très importantes pour moi,
autant humaines que musicales et techniques. Je pense très
particulièrement à David Salomon (Electronics Freemen), quelqu'un tout
particulièrement cher à mon cœur, mais il y en a bien d'autres. C'est
surtout grâce à ces gens que j'ai accepté d'inventer, de travailler à
une voix qui serait la mienne . J'ai commencé à ce moment là à écrire
et concevoir des univers et des idées.
Parallèlement à ça, j'ai passé un Deug Musicologie
à l'université de Rennes 2, puis je suis rentrée au
Centre de Formation des Musiciens Intervenants, où j'ai obtenu mon
Dumi, pour faire de l'éveil musical en école primaire, en crèche et en
milieux handicapés.
Enfin, j'ai obtenu au Cefedem de Nantes, un dipôme d'Etat en chant
et Musiques Actuelles.
J'ai rencontré de nombreux musiciens, j'ai travaillé la
musique indienne et arabo-andalouse avec certains d'entre eux, et j'ai
monté mes premiers groupes.
Aujourd'hui, je collabore avec Olli dans « Olli & Mood »
(indian-world music) et « OLLI AND THE BOLLYWOOD
ORCHESTRA », ANDA (avec Daniel Trutet, duo
poéticocinébarock), Delphine Coutant (chanson), KWAL (slam)...
Je suis également professeur de chant en musiques actuelles, mais
plus pour longtemps, compte tenu du développement de mes
activités artistiques.
PA:
Depuis combien de temps existe votre groupe?
M:
En fait, cette formation-là existe depuis à peu près deux
ans. Mais L'Effet Défée a connu une première forme auparavant, beaucoup
plus orientée sur l'électronique et les machines.
J'ai voulu m'orienter vers quelque chose de plus organique, et plus
rock aussi.
D'un côté je travaillais déjà avec Vinciane (harpe
électrique) autour de projets zeuhl et contemporains, et de l'autre,
Boris et JB (respectivement batteur et guitariste-puis bassiste pour
L'Effet) jouaient ensemble au sein d'un même groupe de musique
improvisée.
La rencontre s'est faite ainsi, et la réunion de ces deux duos à tout
de suite scellé notre identité musicale, basée sur des contrastes forts
entre ces deux entités opposées.
P A:
Quelle est votre fréquence de répétitions?
M:
Nous avons tous des activités annexes, soit en studio, soit sur scène,
soit dans l'enseignement (nous sommes tous les quatre professeurs de
nos instruments respectifs), ce qui nous laisse assez peu, pour
l'instant, l'occasion de répéter, une fois ou deux par semaine, en
général du matin jusqu'en début d'aprème. Sur certaines périodes, on
privilégie des temps de résidences, sur deux ou trois jours, c'est ce
qu'on fera à l'Antipode mi-Mars, pour préparer notre concert de sortie
d'album, le 17 Mars à L'Antipode justement, de Rennes.
PA:
Quel honneur incroyable d'ouvrir pour une formation aussi prestigieuse
que Magma, dans sa propre ville de surcroit, c'est forcément un enjeu
d'importance, non? Est-ce Magma qui vous a repérés? Quelles ont été vos
relations lors de ce concert?
M:
Évidemment, le fait de partager la scène avec des gens dont j'entends
parler depuis toute petite, c'est quelque chose d'assez fou, et très
stimulant. Ça a été un véritable bonheur de découvrir derrière
son aspect légendaire la simplicité humaine de Vander, sa gentillesse.
Philippe Bussonnet (le bassiste ) se faisait les doigts derrière la
scène pendant que nous jouions, James Mc Gaw est même venu me voir à la
fin, nous félicitant, et évoquant l'idée possible d'une collaboration
entre eux (en studio) et moi... bien sûr, tout ça reste au
conditionnel, mais en attendant ce sont de belles preuves de respect,
dont nous leur sommes redevables. Magma est tout de même un groupe qui
a 40 ans d'existence...!
Mais ce n'est pas Magma qui a demandé à ce que nous ouvrions
pour leur concert, c'est un de leurs anciens tourneurs, Fred
Garmonbozia, qui travaille essentiellement dans le réseau métal, qui
s'occupait de cette date, et avec qui j'avais pris contact l'année
dernière; il est venu nous voir en concert et nous as proposé cela par
la suite.
PA:
Magma fait donc partie de vos influences, quelles sont les musiques
progressives qui continuent à vous séduire? Et quelles autres musiques?
Qu'est-ce que vous écoutez en ce moment?
M:
Enfant , j'ai été beaucoup marquée par King Crimson, Yes,
Magma, Ange, Gong, Genesis...la musique progressive que mon père
écoutait.
Il y a aussi beaucoup d'autres auteurs et groupes qui m'ont marquée. En
vrac: Bjork, Mérédith Monk,Robert Wyatt, Lisa Gerrard, Portishead et le
trip-hop en général, Secret Shiefs 3, Mike Patton, John Zorn, Iku Mori,
Zena Parkins, Fred Frith, Soft Machine, Debussy, Eric Satie, Carla
Bley, Radiohead, Coltrane...
Mes complices écoutent toutes sortes de choses également, Boris et JB
sont assez influencés par des groupes tels que Zu, Ruins, Moonchild,
que j'admire également.
PA:
Comment procédez-vous à la composition?
Qui écrit, qui fait quoi?
M:
L'Effet Défée est mon projet personnel, depuis déjà pas mal de
temps.
J'apporte donc l'ensemble des compositions, que nous arrangeons
ensemble, afin que chacun réadapte sa partie à son instrument,
avec sa propre identité.
Le message que je transmets à travers ce projet me préoccupe
depuis longtemps.
Notre premier album s'appelle « Al Trop », c'est à dire
« la Porte » en français à l'endroit.
Le sous titre de L'Effet Défée est « l'ouverture de la porte des
deux mondes », et c'est cette idée de décloisonnement des esprits,
des frontières physiques et psychiques, des cases et des étiquettes,
des mondes visibles et invisibles, que j'invoque dans ce projet.
J'aime l'idée qu'il faille de l'ombre pour saisir la beauté de la
lumière, et que l'un et l'autre se mêlent intimement. Notre monde n'est
pas noir ou blanc, c'est ce gris qui m'intéresse musicalement, et dont
je suis partie pour L'Effet Défée. Je suis séduite par le
symbole que peuvent évoquer les fées, qui témoignent de passages
possibles entre les mondes, et entre notre monde matériel, et nos
désirs ou rêves refoulés. Nous vivons souvent comme des
morts-vivants ou des endormis, je pense que faire de la musique, ou
quelque chose d'artistique, peut aider à nous réveiller.
L'Effet Défée est l'aboutissement de toutes ces pensées. C'est
une musique où se frottent plusieurs univers, parfois très doux,
très lumineux, et aussi traversés de colères et de violence.
P A:
Les textes sont, à l'instar de Magma, des sonorités, des phonèmes,
un langage mystérieux, invitant aussi au transport dans des univers
inconnus, et appuient, dans la musique une forte dimension poétique,
très évocatrice...
M:
Oui, et en fait, ce sont des textes écrits en français à l'envers,
décrivant mes histoires. J'ai juste choisi d'inverser la prononciation
des mots, ce qui leur donne des sonorités d'une autre dimension.
Dans le livret de notre premier album, certains textes seront écrits
à l'endroit et à l'envers.
P A:
Tu parles de votre futur premier album, « Al Trop », pour
quand est-il prévu? Comment le financez-vous? Qu'aurait-il de différent
(si différence il y a ) des versions de scène?
Il est est envisagé pour Mars, je crois.
Comme tu le sais, éditer un disque est une entreprise couteuse, et
malgré l'attribution d'une bourse par la ville, après examen de
dossier, cela ne nous a évidemment pas suffit.
Alors nous avons eu l'idée de proposer un système de
souscription, dans le but de presser d'abord 500 copies, pour
commencer; la somme demandée est de 10 euros par disque (+ 2 euros de
frais de port), ça nous semble raisonnable.
Pour la version studio de nos morceaux, il y aura un invité sur le
disque: Christophe Piot (d'Electroplume), au vibraphone, sur deux
morceaux.
Et puis, évidemment, des arrangements différents, et plus riches,
pensés pour le studio.
P A:
J'habite Rennes depuis 3 ans maintenant, et en venant sur les terres de
Bretagne, vu l'histoire ancienne de cette région, vu la puissance des
mythologies qui y sont nées, vu la force de la musique et de ses
pratiques, très présentes au sein de chacun, j'étais absolument
persuadé de débarquer en terre progressive.
Ma déception a été considérable de ce point de vue. Jusqu'à vous, je
n'y ai vu que Magma en tout et pour tout, pour ne parler que de la
scène. Si, une fois, Ange devait passer à Vitré (30 km de Rennes, à
l'est), mais le concert a été annulé, et on ne l'a su que sur place. De
toute façon, y avait personne... Quand aux disques prog présents dans
les bacs, c'est..comment dire...catastrophique.
Il y a quand même une convention de disques chaque année au Marché Des
Lices, en novembre, et là, on peut aussi y croiser des disquaires
exclusivement prog(chaque fois les mêmes, puisqu'ils parcourent toute
la France toute l'année, pour s'en sortir, dans les mêmes lieux), c'est
pour moi un moment rare, et donc intense.
En dehors de ça: circulez, y a rien avoir, et personne ne connait
quoique ce soit en la matière.
Connaîtrais-tu , toi qui vis ici depuis plus longtemps que moi, une
scène locale progressive?
M:
Mais oui, quand même, ce n'est peut être pas évident à dénicher
mais, si, y a quelques groupes, pas mal d'amis inspirateurs
d'ailleurs: Dïoz, L'Oeil du Sourd, Resistenz, France
Sauvage, Grands Rapides...
P A:
Et bien je te remercie infiniment, je n'ai décidément pas perdu mon
temps en venant à ta rencontre, et à celle de votre groupe.
Bonne continuation, bon album ( que j'achèterai), bons concerts, bonne
année, et encore bravo!
M
Merci beaucoup, et à bientôt.
Interview menée par CHFAB
Adresse de souscription:
Association L'Effet Défée
16 Avenue Sergent Maginot
35000 RENNES